(Extraits de "En Avesnois... ...au fil des saisons" de Robert LECLERCQ.

Pommes coupées

Le temps des pommes !




Elle la croque !
Pommes à terre Pommes

             La cueillette des pommes était à peu près terminée fin septembre et durant ce mois, on en mangeait déjà abondamment, accomodées de toutes les façons. On commençait par utiliser les "ramassins", c'est- à-dire les pommes tombées naturellement, souvent un peu véreuses. On les achetait à très bas prix chez les fermiers du voisinnage et disons qu'on y ajoutait parfois celles qu'on maraudait... Oh ! que c'était mal ! Mais ils étaient si tentants, pour des gosses hardis ces fruits rougissants, trop près du bord des routes. Plus tard, on faisait provision de "pommes cueillies" que l'on conservait au grenier sur de grandes claies en bois. Dès que les fortes gelées étaient à craindre, on descendait le tout à la cave. Il s'agissait surtout des variétés "Belle-Fleur", "Lance-Caillet" (Lancashire), "Court-pendu" (les "cats-pindus"), Reinettes (les "grises" qui bien récoltées se conservaient longtemps !).Dès la Toussaint, on ne trouvait plus de pommes à acheter. Les rares marchands de fruits et légumes n'en vendaient pas, comme de nos jours, toute l'année !...

Variété Belle-Fleur

             Bref ! Plusieurs fois par semaine, surtout pour le repas du soir, on dégustait de la compote de pommes, un peu sucrée, saupoudrée de cannelle, avec une tartine beurrée. Je préférais toujourd celle de grand-mère qui y ajoutait de la "castonade brune" (cassonade), venant de Belgique et qui baptisait cette masse onctueuse "coloche". Parfois la purée de pommes, moins écrasée était servie pour le repas de midi avec de la saucisse.

             On faisait cuire aussi "à la platine" des pommes non pelées, surtout celles de la variété dite "Puns de Sucre". Elles étaient introduites, bien serrées l'une contre l'autre dans le four du poêle-à-pot ou plus tard de la "cuisinière" après les avoir piquées un peu avec la pointe d'une aiguille à tricoter, pour qu'elles n'éclatent pas. Elles se boursouflaient légèrement dans la tourtière brune vernissée. On les dégustait froides, souvent comme dessert, après le repas. Pour varier, maman préparait des pommes pelées, dont elle enlevait le "touron" ou "torsillon" (entendez par là un cylindre de qui conprenait les pépins et leurs logettes parcheminées) avec un tube de fer blanc surmonté d'une poignée. Elle les disposait alors dans un grand plat en terre cuite, allongé, en mettant dans chaque trou une bonne "noisette" de beurre qu'elle enfonçait avec la pointe d'un petit couteau, puis ajoutait par dessus une cuillerée de miel ou à défaut une bonne "grosse" pincée de sucre cristallisé ou de cassonade. L'ensemble était saupoudré, sans excès de cannelle et disparaissait dans le four. Déjà dans les premiers temps de cuisson, un parfum grisant envahissait agréablement la "maison". Dirai-je que nous nous pourléchions de ce dessert mangé tiède ou froid, lentement avec une petite cuiller. J'avais une prédilection pour la gelée épaisse et caramélisée dans laquelle baignaient les pommes cuites.

Pommes coupées



La même recette était appliquée à des rondelles épaisses, ayant conservé leur pelure et disposées en plusieurs lits avec les mêmes ingrédients que ci-dessus. Parfois même on les faisait mijoter plus longement dans un peu de vin rouge et on les dégustait chaudes.



LES RIBOSSES !

             Je ne peux pas quitter le chapitre des pommes sans parler des "ribosses" ou "riboches". Le fruit pelé était enrobé de bonne pâte "à tarte", bien "roulée" et les "ribosses" étaient enfournées souvent par trois ou quatre sur une tourtière. Dès que la cuisson commençait, grand-mère les barbouillait rapidement d'un peu de blanc d'oeuf (avec une plume d'oie) pour qu'elle soient plus dorées disait-elle. Un peu avant de les sortir de leur étuve, elle saupoudrait l'ensemble de sucre. Ce dernier fondait, coulait, se caramélisait et le coup d'oeil rapide de la cuisinière l'empêchait de brûler. Que c'était délicieux, exquis, succulent...

LES BEIGNETS :

             J'en arrive aux beignets aux pommes ! Ceux-ci étaient préparés soit pour le repas du soir, soit pour une veillée, car il fallait les manger bien chauds et bien sucrés !

             Une bonne heure avant, maman confectionnait la "pâte à frire" dans un grand saladier en faïence, décoré de papillons voletant parmis les jasmins. Elle m'a transmis sa recette qui était celle de sa mère. La voici :

             "Délayer trois cents grammes environ de farine avec un peu d'eau tiède. Ajouter deux oeufs entiers et une pincée de sel "en touillant" avec une cuiller en bois. Verser ensuite un verre de bonne bière et travailler la masse vigoureusement en évitant la formation de "maclottes" (grumeaux). Quand le tout est bien sirupeux, laisser reposer une heure, pas loin du feu.

             Pendant que la pâte s'élabore, peler de grosses pommes de reinette (ou Belle-Fleur, Belles de Boskoop), enlever le "tortillon" comme indiqué pour les pommes au four précédemment. Couper des tranches d'un gros centimètre d'épaisseur, les mettre dans un plat et les saupoudrer de sucre en les aspergeant légèrement de bière. Laisser s'imprégner une heure !

Beignets

             La cuisson peut commencer quand la "friture" est bien chaude. Je revois le grand chaudron en fonte noire où la graisse bouillante - et non l'huile - frémissait un peu, puis grésillait. Avec une fourchette, les quartiers de pomme sont plongés dans la pâte puis, avec la pointe d'un couteau, libérés dans la friture qui mugit. Quatre ou cinq beignets se boursouflent en flottant, prennent des formes ventrues et se dorent, surveillés par la cuisinière. Avec une grande écumoire en fil de fer étamé, on les soustrait au bain torride pour les déposer dans un plat creux maintenu au chaud "sur la porte ouverte du four du poêle". Nouveau saupoudrage de sucre et d'une petite pincée de cannelle pendant que les autres beignets se dandinent déjà dans le chaudron".

             Il ne reste plus qu'à se délecter, au-dessus d'une assiette "pour nin brichauder l'sucre" disait grand-mère ! (gaspiller !).

LES CHAUSSONS AUX POMMES !

             J'ai parlé, en évoquant la ducasse de septembre, de la "tarte aux pommes à gros bords". Après la rentrée des classes, quelquefois, le dimanche, maman "pâtissait" quelques "chaussons aux pommes". Elle disposait de la "pâte brisée" assez ferme sur du "papie à bure" (papier à beurre sulfurisé) en formant un cercle. Elle alignait alors sur une moitié du pâton étalé, des fines tranches de pommes en ajoutant quelques raisins secs humidifiés et du sucre en poudre. Ensuite, elle repliait l'autre moitié suivant le diamètre formant ainsi des "chaussons" dont elle fermait les bords en appuyant avec une petite cuiller, ce qui dessinait des festons. Le four chaud attendait ! Disposés par deux sur une grande tourtière noire, puis barbouillés de blanc d'oeuf, les "chaussons" étaient enfermés dans l'étuve.

Deux chaussons

Une deuxième "platine" attendait. Trois quarts d'heure après, les gâteaux gonflés et dorés étaient déposés délicatement sur une éclisse en osier, afin qu'ils refroidissent doucement. Quel régal après le diner ou pour le "quatre heures !". Je n'ai jamais retrouvé dans les fabrications des pâtissiers l'exquis parfum de ces "cauchons à puns" de ma jeunesse.

LE TARTERON !

Tarteron

             Je dois évoquer aussi le "Tarteron" (ou "pagnion"). On n'en cuit plus guère de nos jours. C'est en somme une tourte ! Figurez-vous une "tarte à gros bords" constituée de "pâte à pain" quelquefois enrichie de quelques oeufs et d'un peu de beurre, mais fourrée de compote de pommes ou de poires ou encore de tranches de ces fruits avec cannelle et sucre. Au-dessus, une couche de pâte emprisonne la garniture et un peu de blanc d'oeuf soigneusement étalé assurera un brillant alléchant.

             Un quartier ou deux de ce gâteau donnaient souvent plus de "corps" à un repas léger.


"LES FIGOTTES"

             Arrivons-en aux "figottes". Ah ! les figottes ! Elles symbolisaient pour moi le début de la période des longues soirées, des "veillées" dont nous parlerons plus avant dans un prochain chapitre. Les années d'abondance surtout, voici comment on préparait ces pommes séchées. Presque toute la famille participait à la besogne attablée autour de la lampe à pétrole. Maman et gand-mère pelaient les fruits ; papa enlevait les "torsillons", opérant sur un morceau de planche de hêtre. Les enfants après s'être bien lavé les mains, coupaient les pommes en quatre, ou en rondelles, sauf les petites que nous laissions entières. Dès que les deux grands plats étaient pleins, maman étalait les morceaux de pommes sur des tourtières disposées sur le pourtour du poêle, puis sur un banc ou des chaises près du feu. Le lendemain, toute la journée, les futures "figottes" étaient remuées plusieurs fois et par séries, passaient quelques instants dans le four du poêle grand ouvert...

Préparation des figottes

             En commençant à se déssécher elles brunissaient un peu. Selon l'état de la dessication un jour ou deux après, toujours à la veillée, on enfilait les morceaux de pommes sur un "gros fil gris" (de la fine ficelle) en s'aidant d'un passe-cordon à large chas. Ces longs chapelets étaient suspendus, sous le manteau de la grande cheminée et même au plafond. Jour après jour, les quartiers et les rondelles maigrissaient pour devenir des "figottes" brunâtres.

Séchage des figottes

             Bien entendu, si l'une d'elles prenait des allures moisissantes, elle était éliminée immédiatement. Dès que le séchage semblait suffisant, et maman avait l'oeil, elle pratiquait une espèce de "pasteurisation" en enfournant des platées de "figottes" quelques minutes dans le four très chaud mais entr'ouvert. La conservation se faisait dans des grandes boites en fer tapissées de papier blanc. Le contenu était surveillé de temps à autre, mais comme ces denrées précieuses étaient placées sur le rayon le plus haut du placart dans la cuisine, elles se trouvaient "bien au sec" comme disait mon aïeule, et les moisissures étaient rares. Plus tard, pendant l'hiver, trempées une nuit entière dans une casserole remplie d'eau, les figottes gonflaient, se réhydrataient. Cuites longuement dans une grande casserole, elles devenaient de délicieuses "coloches" auxquelles une pincée de cannelle et du sucre communiquaient un arôme agréable. Souvent pour Noël, il en restait encore et à la veillée, c'était pour moi un plaisir délicat de mâcher doucement des "figottes" en écoutant "les grands" raconter des histoires du passé.

Elles brunissent !

             Pour terminer ce chapitre consacré aux pommes, il faut ajouter qu'on préparait également des "pain de pâte de pommes" de la même manière que pour les "nobertes" dont j'ai parlé en septembre !


Les champignons des bois

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