(Extraits de "En Avesnois... ...au fil des saisons" de Robert LECLERCQ.

Rempailleur de chaises (1930).
MARCHANDS AMBULANTS...
ET COLPORTEURS!!!
Les vieux almanachs de 1900 de nos arrondissements mentionnent pour presque toutes les communes au moins une boulangerie et une épicerie-mercerie.
Cette dernière proposait aux habitants, la pluspart des denrées essentielles, complémentaires des productions familiales
et locales. On y trouvait sel, poivre, sucre, café, chicorée, moutarde, des légumes secs, des bonbons, mais très peu de conserves.
Ce petit magasin vendait aussi des sabots, du savon, blanc et "noir", du pétrole, de la lessive mais également quelques articles de mercerie.
Les clients achetaient ces marchandises par petites quantités : le café au quart ou à la demi-livre, la moutarde au "verre",
voire à la cuillerée !
Tout au long de l'année, de très nombreux commerçants ambulants, petits artisans et colporteurs venaient proposer divers
articles et leurs services aux villageois. Il en était encore ainsi après la guerre de 1914/18 et pendant toute ma jeunesse et mon adolescence.
Nous allons les passer en revue :
LE CAIFFA!
Je revois la voiturette à trois roues, deux grandes à l'arrière et une petite, très mobile, à l'avant pour faciliter la conduite du véhicule. Cet équipage avait la forme d'un grand coffre roulant, peint en noir sur lequel on lisait :
"Au planteur de Caïffa!PARIS !"
Une large poignée permettait au colporteur de pousser l'ensemble. Un gros chien griffon harnaché d'une bricole en cuir aidait parfois à la traction.

L'homme criait de place en place :"Ah !....i...i...café !".
Il vendait en effet en priorité des paquets de cette denrée, sur lesquels figurait le portrait d'un mulâtre coiffé d'un
immense sombrero, mais aussi du sucre et des bonbons en petits sachets de prix modique. Nous le savions, enfants et nous
signalions l'arrivée du marchand à nos parents en hurlant : "Man ! v'là l'Caïffa !". Sans doute, ses affaires étaient-elles
prospères puisqu'il repassait régulièrement.
"LA GRANDE VOITURE"!
Toutes les semaines "la Grande Voiture" comme nous l'appelions, faisait sa tournée dans les rues des villages. C'était une
immense cherrette en bois tirée par un gros cheval à la robe pommelée dont le licol était abondamment garni de grelots et de
sonnailles. Le vendeur faisait stationner son équipage de place en place, agitant une cloche de bronze rutilante et clamait
d'une voix aigüe : "Balais ! Balais ! ... Allez... Allez !!". Il proposait aux clients des balais divers, de chiendent, de
paille de riz, de fibre de cocotier et une gamme de balayettes, de "têtes de loup" au manche démesuré dont on se servait pour
enlever les toiles d'araignées dans les angles des plafonds et la charpente du grenier. Le pourtour de son "étalage" roulant
était garni de rayons où des pieces d'étoffes multicolores, des rideaux, de la mercerie, des bibelots variés et des piles de
"loques à reloqueter" (les serpillères).

LES REMPAILLEURS DE CHAISES
ET MARCHANDS D'ARTICLES EN OSIER
Ces artisans ambulants, que tout le monde appelait "les rimpailleux d'chaises", s'installaient pour une semaine environ sur la place publique de nos villages ou aux abords des petites villes. Leur roulotte était garnie sur la toiture et sur l'arrière de bottes d'osier, de joncs, de raphia. Dés leur arrivée, ils sillonnaient les rues de la bourgade par groupes de deux ou trois. Les femmes vendaient des corbeilles, des battoirs à tapis, des plumeaux, des paniers, des éclisses à tartes,des fauteuils d'enfants. Les hommes proposaient leurs services pour rempailler les chaises ou les canner. Ces dernières étaient transportées sur une charrette à bras jusqu'à leur campement où rapidement le travail s'accomplissait.

"brins d'osier...courbez-vous,
assouplis, sous les doigts du vannier..."
Les enfants, à la sortie de l'école, se précipitaient pour aller regarder cette attaction insolite.
Ils admiraient la dextérité avec laquelle l'osier "se courbait, assoupli sous les doigts des vanniers". Très rapidement les chaises retrouvaient l'aspect du neuf avec une brillance intensifiée par un lustrage rapide à la cire.
Nous appelions ces "gens du voyage" des "romanichels".
En effet c'étaient des tziganes, à la peau basanée, et les femmes portaient de très longues jupes et d'amples caracos
bariolés...Le soir, à la lueur d'un feu de camp ou d'une lanterne à acétylène, ils continuaient tardivement leur travail
pendant qu'un ou deux violoneux ou guitaristes égayaient la veillée.
LES RETAMEURS !
Une quinzaine de jours avant les ducasses ou les "Premières communions" les rétameurs établissaient leur campement dans
une cour réservée aux nomades par la municipalité. Comme pour le rempaillage des chaises, ces spécialistes faisaient du
"porte à porte" pour collecter les cuillers, fourchettes, louches, casseroles en fer-blanc afin de leur rendre de l'éclat.
Ils allumaient leur brasero à l'abri d'une grande tôle et activant le brasier avec un soufflet, ils faisaient fondre de
l'étain dans un chaudron en fonte. Je les ai regardés souvent, nettoyant les objets à rénover dans divers bains, certainement
dégraissants ou acidulés, puis les frottant énergiquement à l'aide de brosses fines ou de chiffons. Bientôt ils plongeaient
rapidement à l'aide d'une longue pince, les ustensiles dans le bain en fusion, ne les laissant qu'un très court instant
s'enrober d'une couche brillante d'étain. Un coup de "peau de chamois", talqués ensuite, un frottis énergique et les
couverts pouvaient être rendus à leur propriétaires moyennant une rétribution assez modique.

Intérieur d'un "estaminet".
Ils étaient si nombreux vers1930
encore dans tous nos villages.
LE MARCHAND DE LUNETTES !
Je devrais dire "les marchands" puisqu'ils passaient à deux : un homme déjà grisonnant, coiffé d'une grande casquette à visière de cuir,
qu'il retirait poliment en se présentant ; une femme aux longs cheveux blonds retenus dans un foulard écarlate. Cette
dernière avait un beau visage aux grands yeux très bleus. Ils portaient tous deux, en bandoulière, une grande boite en bois verni qui s'ouvrait
par un large couvercle garni de tissus vert à l'intérieur. Ce coffre contenait, bien rangées et alignées dans de petits casiers,
des paires de lunettes diverses. Toutes avaient leurs verres sertis dans des montures métalliques légères. La pluspart étaient
des "conserves" aux lentilles ovales parfois un peu teintées. Le couple allait de porte en porte, connu surtout des personnes âgées.
L'homme faisait essayer plusieurs paires de binocles aux intéressés. La femme présentait à lire une feuille de journal encadrée dans une
moulure en bois. J'ai écouté plusieurs fois grand-mère ou une vieille voisine discuter avec cet "oculiste" ambulant qui devait avoir quelques
notions d'optique malgré tout ! "Attindez, disait mon aïeule, qu'ej ravisse les petites lettres éyé m'tricot ! Bon, çà va,
celles là vont bin. Allez, vos m'donnerez un étui avec, hein ?". L'affaire se concluait, il en était ainsi vraisemblablement avec
de nombreux clients. Les gens de nos campagnes étaient satisfaits des services de ces "lunetiers" puisqu'on les a vu très longtemps faire
leur tournée. Un jour, la femme vint seule... elle était vêtue de noir et ses beaux yeux bleus brillaient de larmes rescentes... !
LA VOITURE DE MADAME "CAMPION" !
A la fin des vacances, on voyait dans nos communes, un étrange équipage, tiré par un gros cheval à la robe baie. C'était une petite roulotte
peinte en vert et rouge garnie tout autour d'armoires étroites vitrées dans lesquelles étaient rangéees de grands bocaux de verre.
Ces fioles contenaient dans de l'alcool ou du formol des parasites de l'homme. C'étaient de très longs ténias aux larges anneaux,
des ascarides de belle taille réunis par dizaines, des myriades d'oxyures et d'oestres, de grandes douves du foie et des vers,
des larves qui avaient l'air de grouiller dans leur bain conservateur. Dès coups de cloche retentissaient longuement pour attirer les
habitants du quartier où s'était arrêtée la voiture de "Madame CAMPION" (ou "CHAMPION").

Bientôt un roulement de tambour précisait l'importance de l'évènement ! La "marchande de poudre pour les vers" comme on l'appelait, armée
d'un immense porte-voix, haranguait son auditoire, insistant sur les ravages causés par les parasites. Elle manipulait les
flacons en les remuant ce qui semblait redonner vie aux restes des hôtes indésirables qui y étaient conservés. "L'une de ces terribles
bestioles vit peut-être en ce moment dans votre intestin ou votre estomac, ruinant votre santée !" clamait-elle ! Pour les
détruire, rien ne vaut la poudre de "maman CAMPION". Les assistants achetaient quelques paquets que la marchande enveloppait
dans un imprimé vantant les mérites de ses vermifuges mais aussi de ses tisanes, pommades et onguents divers qui devaient
soulager les douleurs rhumatismales les plus tenaces. La voiture s'en allait alors vers un autre carrefour suivie par une troupe de
gosses espérant quelques images d'Epinal que la dame ambulante distribuait.
Vers la suite des petits métiers d'autrefois
Retour sommaire