(Extraits de "En Avesnois... ...au fil des saisons" de Robert LECLERCQ

Le temps des "pichoulits" !!
A la fin de février déjà, si le temps devenait plus doux, faisant "reverdir" les pâtures avesnoises,
on voyait des cueilleurs de pissenlits s'activer, couteau pointu à une main et panier d'osier ou
seau galvanisé à l'autre. Courbés vers le gazon, ils récoltaient une "salade" , se redressant de
temps en temps pour soulager la tension douloureuse de leur dos. Quand mars venait
réchauffer un peu la terre, les "récolteurs d'pichoulits" s'éparpillaient entre les haies.
Que de fois j'y suis allé "à pichoulits", accompagnant grand-mère, le jeudi ! Nous partions
vers des prés éloignés, donc peu fréquentés. Elle cheminait d'un bon pas, son grand panier
d'osier sous le bras, sa pélerine de laine noire sur les épaules. Malgré le vent, ses cheveux déjà
grisonnants demeuraient bien coiffés, fixés adroitement par des peignes multiples...

(qu'on me pardonne ,je repartais
vers de chères visions de souvenirs !)
Elle connaissait les "bonnes pâtures et notre cueillette était fructueuse !
Mon couteau s'enfonçait à la base de la petite plante et d'un mouvement demi -circulaire,
je sectionnais la racine. Souvent grand-mère s'approchait et me disait :"Vos perdez trop
d'terre ,y n'faut nin infoncer si fourt vo coutiau !"J'ai mis du temps avant d'avoir son adresse
et j'étais toujours ébahi de voir son panier plein si rapidement.
Quant les "muternes" (taupinières) abondaient, elle y recherchait les pissenlits "blancs" qui s'étaient développés à l'abri de la lumière car, disait-elle: "Y sont pu tinres(tendres) !" Une fois la récolte suffisante, elle venait m'aider à terminer la mienne.
Dans certaines prairies, des familles modestes entières s'affairaient, pour glaner des repas, mais aussi pour préparer, éplucher, laver quelques assietées appétissantes qui seraient proposées pour une somme modique aux ménagères du village ou de la ville voisine, voire sur les marchés hebdomadaires d'Avesnes, Solre le chateau, Maubeuge, Bavay ou Fourmies.
"La salade de pissenlits !"
Aussitôt rentrée chez elle, grand-mère se protégeait avec un viel "écourçu" (tablier) et se mettait à éplucher une partie de sa cueillette. Le collet et le bout des feuilles éliminés seraient donnés aux lapins ! Les pissenlits découpés finement s'accumulaient dans une bassine émaillée pleine d'eau. Mon aïeule procédait à plusieurs lavages successifs puis laissait tremper la préparation quelques heures.
Pendant ce temps, elle avait mis à cuire de petites pommes de terre, deux ou trois oeufs, parfois une betterave potagère rouge, un gros oignon, quelques échalotes, des éclats d'ail épluchés attendaient sur une soucoupe. Le grand saladier en faïence, décoré de papillons et de jasmin, avait déjà reçu ses cuillerées d'huile et de vinaigre sur qui flottait une poussière de poivre. Tout était prêt ! Les pissenlits étaient alors secoués violemment dans le panier en fil de fer étamé, puis passés dans un grand torchon pour les sécher. Déposés dans le saladier, ils étaient bientôt rejoints par les légumes précités et les oeufs fragmentés. Sur toute la masse , l'ail et l'échalote etaient émincés finement. C'est alors qu'entrait en action la fourchette et la cuiller de bois pour bien mélanger le tout ("pou bin touillie" comme disait grand-mère).

Le saladier de grand-mère où se sont élaborées
de délicieuses salades de "pichoulits".
Vers 18h30, le plat était prêt ! La table vite garnie n'attendait plus que les convives et le grand saladier posé sur la porte ouverte du poêle-à-pot afin qu'il garde sa légère chaleur ! Avant de le présenter et de servir, la ménagère saupoudrait le savoureux mélange d'un peu de sel et manipulait à nouveau les ustensiles de bois...C'était délicieux, épicé à point et ça glissait sur la langue et le palais en y laissant un arôme délicat de "printemps" que j'adorais.
J'ai toujours là le saladier à papillons...je n'y ai plus jamais retrouvé la succulence des salades "à pichoulits" de ma jeunesse.
Une plante aux vertus...multiples !!"
Tout ce que je viens de narrer se passait dans toutes les familles villageoises de notre région.
C'était le "temps des pissenlits" et tout le monde en consommait copieusement, connaissant
bien les propriétés dépuratives et diurétiques de la plante. D'autre part, c'était un plat peu
onéreux qui se préparait d'ailleurs selon d'autres recettes, au lard fondu et très chaud dont
on arrosait la salade juste avant de "touiller" et de servir. Parfois, on cuisait avec de petites
pommes de terre rissolées dans une grande poêle et avant la dégustation on y découpait des
oignons cuits au four... Dirai-je que c'était plus amer ! Plus tard quand le pissenlit grandissait
et qu'il allait fleurir, on en récoltait de grands paniers. A l'épluchage on éliminait les "boutons"
puis on faisait cuire le tout avec des épinards et de l'oseille. Cette "porée" (purée de légumes
cuits) était hachée finement sur la "planche à herbes". On la mangeait avec des pommes de
terre sautées au beurre ou à la graisse et parfois un oeuf cuit dur.
Une plante aux vertus
multiples: le pissenlit.
Je me souviens également qu'en automne, mon aïeule extrayait du sol les racines de gros pissenlits ! Elle les lavait soigneusement puis les découpait en petites rondelles qu'elle faisait sécher dans le four sur une tourtière en terre cuite. Conservés dans une boîte en fer, garnie de papier sulfurisé, ces fragments étaient mis à bouillir l'hiver dans du lait. Cette "potion" bien sucrée était absorbée matin et soir pour calmer la toux en cas de rhûme. Grand-mère aurait ajouté:
"Et pis, c'est bon étout (aussi) contre les dartres, les maux d'estomac et quand on a
l'jaunisse !". Il était nécessaire de consacrer ces lignes au pissenlit tant utilisé autrefois
et dont les vertus sont multiples. J'ai appris récemment qu'il contient des tanins, des
vitamines B et C, et même qu'il est apéritif, mais surtout je sais qu'il est précieux pour
mes abeilles. Alors !
Retour sommaire