(Extraits de "En Avesnois... ...au fil des saisons" de Robert LECLERCQ.

Carte de voeux



Les premiers "étrenneux"



             Gamin je m'éveillais toujours à l'aube, le jour de l'an, sans doute énervé par les parties de cartes trés animées de la veille. D'autre part dès quatre heures et demie ou cinq heures, j'entendais résonner sur la route, souvent gelée, les sabots et les souliers ferrés des premiers "étrenneux". Levé, je traversais sans bruit la chambre de mes parents dans l'obscurité, me guidant au contact des meubles familiers. Dans la cuisine où flottait encore une agréable senteur de gaufres, je caressais le chat qui faisait le gros dos en ronronnant plus fort et s'étirait ensuite en enfonçant ses griffes dans la paille de la chaise.

Passet du poêle à pot

             J'allumais le poêle à pot, à peine refroidi et la lampe à pétrole. Le feu ronflait vite grâce à la poignée de copeaux de sapin et quelques "ronjures" de bois très sec qui enflammaient les morceaux de charme que j'offais au brasier. Trés vite, l'eau du coquemar se mettait à chantonner pendant que je moulais le premier café de l'année, tandis que le chat se frottait contre ma jambe pour réclamer sa tasse de lait en miaulant plaintivement. Je nettoyais la cafetière et son filtre pour y déposer quelques grains de chicorée et ma mouture.

Le "passet" du poêle à pot
avec son tiroir cendrier.

             J'aimais verser l'eau bouillante qui faisait gonfler la masse noirâtre sur laquelle éclataient milles bulles qu'irisait la lumiere.Ca sentait bon et pendant que goutte à goutte le café s'élaborait, je grignotais une des gaufres froides. Bien que ramolies et ayant perdu leur senteur particulière, on les dégusterait pour le petit déjeuner, trempées dans du café au lait, garnies d'un peu de confiture aux mûres. J'avais un peu plus de dix ans alors et c'était ma joie de "faire" le premier café de l'année pour maman.

             Souvent mon père se levait, sans doute attiré par les odorantes émanations de la cafetière. Aprés lui avoir souhaité la "bonne année", nous buvions lentement une "bonne tasse ed'neuf passé". J'étais heureux s'il disait: "Ah !il est bon, vos n'avez nin mis trop d'chicorée !".

             Aussitôt aprés, il en portait à ma mère, pour une fois encore au lit... Dès que j'avais embrassé maman en lui disant ;"Bonne année, bonne santé, ...man", je me chaussais rapidement, jetais sur mes épaules ma grande pélerine de drap bleu-marine et je courais vers la maison de grand-mère... Le jour pointait à peine, mais, de loin, je distinguais vite la silhouette aimée, projetée contre les rideaux de la fenêtre par la lumière de la lampe encore allumée. Dès que j'ouvrais le portillon un peu grinçant du jardin, je voyais le "brise-bise" se soulever... C'était le contrôle du "premier étrenneux". En effet, il fallait, chez nos aïeux, que ce soit un "homme" qui franchisse le premier le seuil de l'habitation en ce jour solennel et qui exprime d'abord ses voeux à la maitresse de maison, pour porter bonheur au foyer. Je crois bien que si une femme s'était présentée, grand-mère n'aurait pas ouvert !

Table garnie Les "étrenneux" peuvent arriver,
tout est prêt sur la table pour l'accueil.

             Comme j'étais joyeux de lui faire plaisir ! La pièce d'acceuil était "astiquée", bien rangée, çà sentait bon le café nouveau. Sur la table ronde, les tasses, retournées sur la nappe blanche, s'alignaient près du grand plat décoré de papillons bleus et de jasmins, garni abondamment de macarons. Le sucrier de porcelaine voisinait, débordant. Mon aïeule, peignée parfaitement, était toujours vêtue d'un caraco gris foncé à larges lignes noires et d'une longue jupe sombre, froncée, que protégeait un très ample tablier de toile doté de deux poches ("l'écourçu ou écourcheux").

Plat
Le grand plat orné de papillons et de jasmins
qui était abondamment garni de macarons

             Les voeux exprimés, je buvais avec elle une tasse de café, avec un "grand sucre", à la "sucette". Nous grignotions un ou deux macarons tout en bavardant. Bientôt, grand-mère se dirigeait vers la grande "dresse", si bien cirée, aux poignées et charnières de cuivre brillantes. Elle ouvrait le tiroir central et en sortait une pièce jaune de quarante sous (2 francs de l'époque). Elle me la mettait dans la main, avec une grosse bise sonore de ses lévres toujours un peu froides, en me disant :"Ténez !vos mettrez çoulà à vot'tirelire !".Je m'en allais peu après, heureux, sachant que d'autres "étrenneux" allaient arriver.

Dresse
La grande "dresse" et son tiroir central
d'où sortait le "bon'an"

             Avec mes parents, nous entreprenions alors une partie de la "tournée" dans la famille, emportant avec nous la bonne odeur du bouillon de pot-au-feu qui frémissait déjà sur le poêle. Au passage, dans la rue, on croisait des voisins, des amis. C'était alors des:
             "J'vos l'souhaite, bonne et heureuse..." par çi, "eun'bonne année à tertous" par là, à quoi s'ajoutait toujours:
             "Ca n'compte nin, faudra v'nir à l'maison!"
             Oncles, cousins plus âgés, accueillaient notre groupe avec les effusions d'usage. Certains, trouvant notre visite trop courte disaient à notre départ:
             "Vos v'là d'jà dallés (partis), pou un coup par an qu'on s'voit!..."
             Nous repassions chez grand-mère, toujours un peu avant-midi. Nous y demeurions longuement. Les parents commentaient les visites précédentes, la saveur trop légère du café d'une tante trés âgée un peu avare, les récentes nouvelles glanées chez les uns et les autres. Soudain, maman se levait en disant: "Allez, dépêchons-nous, l'bouillon doit être à point !".
             Grand-mère jetait sa pélerine sur ses épaules rectifiant sa coiffure devant la glace puis vérifiait et garnissait le feu. Elle venait alors diner chez nous...

Etagère et boites à épices
La "planche de cuisine de grand-mère où s'alignent les boites à épices,
la cafetière des "jours de réception" et le moulin à café. On en trouvait
dans toutes les cuisines "en ce temps là"...

             Ainsi se passait le "jour de l'an" . Je crois bien qu'on "étrennait" tous les membres de la famille plus âgés, car ceux qui n'habitaient pas le village, arrivaient l'après-midi, les pommettes rougies par l'air vif, mais aussi par les "rincettes" multiples des "gouttes" diverses qu'il fallait toujours absorber en ajoutant:
             "C'est bin, pour vos faire plaisir...!"
             Les jours suivants, durant tout le mois, on continuait "d'aller rendre les voeux", qu'il neige, vente ou pleuve, mais surtout le soir. C'était alors l'occasion d'une veillée animée et souvent joyeuse du genre de celles que j'évoquerai dans ce livre.

             A l'école, les plus jeunes enfants avaient appris un "compliment" du genre suivant:

             Ces quelques vers, les petits les déclamaient, à chaque visite, en remuant au fond d'une poche le papier du morceau de chocolat offert ou quelques piécettes de monnaie. Les écoliers plus âgés avaient rédigé une belle lettre sur du papier festonné, agrémenté de dentelles et de fleurs. Ils la remettaient à leurs parents qui en faisaient part aux visiteurs avec fierté.(voir illustration).

Lettre


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