(Extraits de "En Avesnois... ...au fil des saisons" de Robert LECLERCQ.



Eglise et neige



"Le Temps des Cugnoles"




             Un peu partout, la veille de Noël, les maisons cuisaient de grosses miches briochées ! Chez nous, en Avesnois et dans le Nord, c'est la "CUGNOLE" qui perpétue les habitudes d'antan. Ce long gâteau en forme peut être de berceau (du latin "cunae !") porte d'ailleurs selon les villages et régions des noms variés : QUEGNOLLE? QUENIOLE? COUGNOLLE, qui deviennent parfois "COGNO" ou "QUEGNO".D'autres le nomme "COQUILLE !". Bref ! peut-être ce nom vient-il du germanique "Kuchen ou "Kouke" qui signifie gâteau (comme le KOUGELHOPH alsacien ?)

Cugnoles

             Qu'importe, de nos jours toutes les pâtisseries en fabriquent pour la période de Noël et c'est tant mieux ! Mais, où sont les énormes "cugnoles" longues comme des pains, dorées, luisantes et parfumées que mes grands-mères pâtissaient avec farine, crème, lait et "du bon bure" saupoudrées de cassonade au cours de la cuisson dans le four torride du poêle-à-pot, et sur lesquelles elles collaient, bien au centre un "petit-Jésus" en sucre rose ?

             Comme me semblaient encore plus délicieuses les petites "cugnoles" que nous trouvions, enfants, enveloppées de "papier de soie" dans nos souliers... C'était pourtant la même pâte, mais d'une fournée faite en cachette par les mamans, parfois même pendant que nous dormions !

Quand les bougies chantent !

            NOEL ! au temps de ma prime jeunesse, c'était surtout une longue et belle veillée en famille : parents, enfants et grands-parents ! Réunis autour de la grosse lampe à pétrole qu'on avait bien remplie, nous vivions des heures chaudes et si agréables. Les plus âgés devisaient en dégustant une tasse de café agrémentée, pour les hommes, d'un petit "gloria" de rhum ou d'eau de vie de pommes. Les femmes se délectaient parfois de leur côté d'un peu de liqueur de "fourdrenes" et les enfants avaient droit à un morceau de sucre trempé "un petit coup" dans la tasse des grands ! ("un p'tit canard" disait-on !).

             Prés du feu ronflant, ma mère plaçait sur une chaise la grande bassine émaillée ou elle avait "débattu" la pâte claire pour les gaufres futures. Grand-mère surveillait de temps en temps la préparation pour vérifier qu'elle "montait" bien. Elle soulevait doucement l'étamine qui recouvrait le récipient et disait : "Ca va bin !!".

Gaufrier
Fer à gaufres de "ce temps-là" !

             Peu aprés, la cuisson parfumée commençait, dans le grand fer de fonte noire à longs bras, dès qu'il était chaud à point, aprés avoir été retourné plusieurs fois au-dessus du brasier rutilant et ronflant. Bientôt, les alvéoles grésillaient sous le frottis d'une couenne de lard frais. Avec une petite louche en étain pourvue d'un bec, maman versait la pâte qui s'étalait en mugissant, puis trés vite, elle retournait le fer d'une rotation rapide. Les visages des enfants qui comtemplaient la cuisson, rougeoyaient dans la pénombre, chaque fois que le fer faisait son demi-tour au-dessus du feu !

Poêle à pot
Un "poêle à pot" avec sur le dessus
un gaufrier ouvert et la cafetière.
Le four est ouvert.
             Grand-mère clamait:
             --- "Allez ! les premières gaufres, c'est pou les éfants !".

             Une fois la jeunesse contentée, les galettes dorées et croustillantes étaient distribuées aux adultes, à tour de rôle. La cuisson était assez rapide. Beaucoup les dégustaient chaudes et fumantes, natures ou saupoudrées de sucre ou de "cassonade". D'autres les laissaient refroidir un court instant et les garnissaient d'une cuillerée de confiture à "meurons". Grand-mère les préférait "un p'tit coup freudes" (froides) ! Ensuite, la production dépassant la consommation, les galettes s'empilaient sur une grande éclisse d'osier....Pendant ce temps, dans le four, quelques "ribosses" cuisaient, parfumant toute la pièce, puis s'alignaient sur une grande planche de hêtre, prés de la cheminée. C'etait là le dessert du lendemain. La longue dégustation des gaufres constituait en somme le repas du soir. Tout en mangeant, les "grands" continuaient à converser, les hommes s'animaient parlant de souvenirs de guerre, de parties de crosse, d'aventures burlesques durant leur travail, des "farces du 1er Mai". Les femmes écoutaient, rectifiant parfois un détail....Grand-mère "passait" de l'eau boulliante sur la grande cafetière, d'ou émanait la bonne odeur du "café nouviau". Ce dernier servait de boisson pour la plupart, mais quelques-uns buvaient de la bière, trouvant qu'elle accompagnait mieux les gaufres...

             Les distractions et les parties de cartes ressemblaient à celles que nous avons décrites en novembre ! La soirée de Noel était ainsi bien animée. De temps en temps on offrait une tournée de noisettes ou de "gailles" (noix) ou encore de "figottes"

             Pas de sapin illuminé, pas de "réveillon" pas de boudin blanc ni de dinde, ni d'huîtres....Pas de T.S.F. jusqu'en 1930....et bien sûr.... pas de "télé" ! Rien que la chaude ambiance de la vie en commun, des conversations variées et joyeuses.

Herbes dans la neige

             Soudain, les cloches carillonnaient pour inviter les gens du village à l'office de la nuit sacrée... Sauf mes grands-parents qui préféraient faire "un petit niquet" dans leur fauteuil, en nous attendant, nous allions à la Messe de Minuit, bien emmitoufflés. En sortant de la maison, je regardais émerveillé, danser au loin sur les flancs de la vallée de la Belleuse (à Felleries) les lueurs des "lanternes à bougies" que portaient des fidèles, se rendant à pied à l'église. Il en venait de partout par les sentiers sinueux et les petits chemins desservant les fermes isolées. Au retour, un morceau de "cugnole", encore chaud, nous réconfortait. Mes frères et soeur et moi, placions nos souliers prés du mur de la cheminée et allions dormir en songeant au "Père Noel" ou, comme disait maman, "au Petit Jésus" qui viendrait peut-être pendant notre sommeil ! Le lendemain, nous découvrions des oranges, quelques sucreries et, comme je l'ai déjà dit...d'autres "cugnoles !" ...

Lampe à pétrole et chandeliers

             C'était cela Noel, en Avesnois, chez la plupart des humbles....et j'en ai gardé un merveilleux et tendre souvenir.


             Voilà ! je termine mon périple de la vie "En Avesnois...au fil des saisons", "din l'temps", comme aurait dit grand-mère, durant ces vingt ans d'entre les deux guerres, qui furent ceux de ma jeunesse et de mon adolescence.


             Quels changements depuis ! Vous dirai-je que je viens encore de rêvasser quelques minutes en comtemplant ma vielle "lampe à pétrole" qui est toujours là, prés d'un chandelier en cuivre de ma bisaieule !...



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