(Extraits de "En Avesnois... ...au fil des saisons" de Robert LECLERCQ.

Trois masques




Carnaval !!Mardi-gras...et"Mascarades"



             Le CARNAVAL dans mes souvenirs de jeunesse et pour la plupart de ceux qui ont mon âge, sans doute, c'était les trois jours "gras" : le dimanche de la QUINQUAGESIME (50 jours avant Pâques), le Lundi et le "MARDI-GRAS" ! Voilà... TROIS JOURS !! 3 jours de fête, de vacances scolaires, au cours desquels nous allions pouvoir nous masquer et voir, comme nous disions "des mascarades" !

             Mais les plus âgés aussi attendaient cette "fête hivernale" ! De très nombreux ouvriers et ouvrières, jeunes et adultes, des usines de boisellerie fleurisiennes, des verreries sarséennes et fourmisiennes, des filatures sainsoises, des marbreries de Cousolre et Bellignies, les métallurgistes du Bassin de la Sambre etc...préparaient leurs atours de déguisement et organisaient des groupes de "mascarades" qui prodigeraient animation et gaieté dans les villages, les bourgs et les villes de notre Avesnois.



Le Carnaval !!

             Le Carnaval "din l'temps !" durait bien plus de trois jours m'ont précisé grand-mère et tous ceux de sa génération ! En effet ce terme désigne la période comprise entre l"Epiphanie (6 janvier) et le Mercredi des Cendres ! C'est un temps de divertissements, dit le Littré qui précéde celui de la "Quadragésime" ou si vous préférez les quarante jours "d'Abstinence" qui s'écoulent entre le Mardi-Gras et Pâques dans la religion catholique et que l'on appelle CAREME !
On dénommait d'ailleurs jadis le Mardi-Gras, le jour de "Carême prenant", après lequel venait le temps des pénitences. Cependant il faut préciser que ce jour est une "fête mobile" puisque sa situation dans le calendrier dépend de la fixation dans l'année, du jour de Pâques qui peut se fêter en Mars ou en Avril ! De ce fait notre "Carême prenant" trouve sa place entre début février et la première quinzaine de mars ! Nous pouvons donc avoir un Carnaval durant de vingt sept jours à plus de deux mois ! Nous verrons, dans l'évocation des mois suivants, comment l'Eglise Catholique procéde pour fixer le jour de "Pâques" !

             Si nous remontons "dans la nuit des temps" nous découvrons, bien avant le Christianisme, des manifestations de liesse populaire païenne qui se déroulaient entre le Soltice d'Hiver (21 décembre) et l'Equinoxe de Printemps (21 mars) . La froide saison, le gel, la neige, les jours courts, l'impossibilité des travaux agricoles de plein air (si importants en ce temps là) ont favorisé chez les peuples nordiques surtout, le désir de se regrouper, de vivre intensément en communauté, en attendant que la "LUMIERE", prisonnière, croyait-on, de quelque force diabolique, revienne !! Il fallait peut-être chasser les esprits malfaisants qui génaient la "résurrection" de la nature à l'aube du printemps ! Le masque, donnait aux humains une puissance surnaturelle temporaire, une force spéciale, irréelle et mystérieuse par l'anonymat, intensifiée par les rires, les danses, les cris, la bonne ext, les beuveries, la licence sexuelle même ! Réfléchisons !! A quoi servent les masques, les totems des peuples d'Afrique et leurs danses rituelles ?

Couple grotesque
Couple grotesque en 1930

             Tout cela, avec des cérémonies diverses, des sacrifices d'animaux parfois, a fait naître dans le passé une période de vie exaltée et endiablée, un peu partout dans le même temps que notre Carnaval ! L'Eglise a lutté énergiquement contre tout ce qui était païen et lubrique, mais a dû tolérer ces fêtes populaires, avant d'imposer le Carème, pendant lequel on ne pouvait manger de viande.

             Cependant, au cours des derniers siecles, le Carnaval se déroulait surtout durant les trois jours précédant le Mercredi des Cendres ! C'était alors une exubérance intense, un déchainement total, surtout le mardi, qui devait forcément être "gras" puisque le lendemain commençait la restriction sévère ! La liesse des foules éclatait au milieu des travestissements grotesques ou magnifiques que revêtaient les gens masqués. Ces masques furent d'abord faits de tissus bariolés, puis de carton pâte figurant des faciés ridicules, grotesques ou très agréables, caricaturant même des personnages connus, des têtes d'animaux. Ces mascarades publiques prirent bientôt l'allure de cortèges, renforcés par des chars symboliques décorés, mais aussi de joyeuses bandes espiégles où se mêlaient toutes les classes sociales, donnant libre cours à une licence souvant débordante avec de tumultueuses beuveries. Les bals parés, costumés et masqués étaient très en faveur aussi bien à la campagne qu'à la ville et duraient toute la nuit...

             Que reste-t-il de toutes ces traditions encore si vivantes il y a seulement un demi-siecle ?? Le Carnaval de Nice, celui de Binche en Belgique, de Rio de Janeiro (si fantastique) celui de Dunkerque encore très animé, la fête de Saint-Pensard à Trélon, le "bouzouc" à Berlaimont, les sorties de Wédric le Barbu (à Avesnes), la cavalcade Jean Mabuse à Maubeuge...sont des épisodes burlesques avec danses et musiques, défilés et ballets...derniers échos des grandes joies du Carnaval d'Antan !



L'Carnaval...Au village vers 1925 !

             Ce que je vais conter, se pratiquait dans mon petit village de FELLERIES, près d'Avesnes-sur -helpe, après la guerre de 1914-1918, mais les mêmes scènes se déroulaient, avec des variantes locales dans toutes les agglomérations de notre région

             Un mois avant le dimanche "de Carnaval", les vitrines des commerçants et même de nombreux "estaminets" se garnissaient de masques variés : tête de sorcière au rictus effrayant, au nez démusurément busqué, à l'oeil inquiétant ; visage de négre ou de peau-rouge ; figure enfarinée de Pierrot ; tête d'âne, de mouton, d'ours, mais aussi séries de tourets multicolores et de masques à bavettes en tissus pailletés, de faux-nez moustachus. Tout cela était entouré de mirlitons en carton, empanachés de rubans de papier colorés, de castagnettes, de tambourins, de crécelles (les "équalettes" !) et d'objets divers de cotillon.

le char de la Madelon
Le char de "la Madelon" au carnaval de 1925 à Sains du Nord

             A l'intérieur du magasin ou du café, une collection de "dominos", de parures de Pierrots et Colombines, de cols de gaze tuyautée attendaient les amateurs. Bien entendu, on achetait les masques le soir, pour qu'ils demeurent secrets ! Les costumes de déguisement étaient loués à l'avance, en cachette.



Les préparatifs de la fête !

             Beaucoup fabriquaient leurs travestis à la maison, "à l'veille", en utilisant des chutes de tissus conservés depuis des mois. On visitait les greniers pour y découvrir de vieux vêtements démodés d'avant guerre, des jupons frangés de larges dentelles, des jupes immenses et longues, des "jaquettes à pans" du grand-père disparu, des chapeaux claques ou des "canotiers", des draps et des rideaux usagés. Les boites à couture des mamans voyaient disparaître toutes leurs épingles de sureté !

             A l'école, des groupes de gamins se formaient pour organiser une partie masquée, en grand secret. Dans les usines, avant que la sirène n'appelle au travail, des rassemblements d'ouvriers combinaient des apprêts d'un défilé humoristique. Le soir, on programmait les détails, on fabriquait les accessoires utiles... et tout cela dans la joie et la bonne humeur. Une certaine année, une équipe dynamique avait construit un éléphant en s'abritant dans une remise spacieuse. On mania habilement le bois, les clous, la colle, la toile de jute et "l'oeuvre" pris une forme convenable...Hélas ! le samedi, on s'apperçut que la bête imposante ne pouvait... passer par la porte du local ! Imaginez la déconvenue. Eh bien ! Après avoir scié, découpé, décousu, recousu, le groupe fit défiler son "pachyderme" roulant dans le village le dimanche ! On avait eu chaud !!

Groupe déguisé
Groupe déguisé pour défilé carnavalesque

             Les derniers préparatifs s'activaient en fin de semaine et principalement le soir et une partie de la nuit, car on ne chômait pas le samedi. Le diner du dimanche, pot-au feu comme d'habitude, était vite terminé tant l'énervement grandissait. Dans l'arrière-cuisine de la maison, la buanderie d'un café, dans une grange même, les participants se paraient et se déguisaient, s'aidant mutuellement pour parfaire leur accoutrement afin de ne pas être reconnus. Même les mains étaient gantées ou colorées ! Le rassemblement se faisait souvent dans une ruelle ou un chemin peu fréquenté.



Les bandes de mascarades..!

             Approchons-nous d'un groupe ! Voici d'abord un grand ours au museau allongé, rendu d'allure plus féroce par de grosses canines débordantes. Il est tenu en laisse par une chaine fixée à un licol garni de grelots. Son "dompteur" masqué manipule un grand fouet ("eune écorie") et deux accompagnateurs burlesques jouent des airs connus en soufflant dans de gros mirlitons. "L'animal" se dandine et à la demande danse, s'agite en battant l'air de ses pattes garnies d'ongles de bois taillé... Il feint de se précipiter vers les spectateurs nombreux qui applaudissent et crient. Vient ensuite une vieille voiture d'enfant, juchée sur de grandes roues de fer, tirée et poussée à la fois par des "masques" joyeux affublés de vieux rideaux enveloppants et coiffés de larges chapeaux de paille garnis de fruits factices et de fleurs. Dans l'équipage, un énorme poupon s'agite et gémit. Une grosse nourrice à poitrine ample et débordante hurle :"dour min p'tit quinquin..." et lui présente un énorme biberon de carton.Derrière vient un homme en très longue chemise de nuit, coiffé d'un bonnet écarlate à pompon démesuré, tenant un bougeoir de grande taille. Il chemine pieds nus dans de gros sabots garnis de paille. De temps en temps il s'arrête, s'assied sur une "chaise à traire" et extirpe d'entre ses orteils de larges pincées de "marc de café" qu'il projette sur les badauds attroupés qui vocifèrent ; "Ah ! qu'il est sale..." ! Une autre bande suit, faisant des rondes endiablées et criardes autour d'un accordéoniste juché sur une charrette à bras vacillante. Brisant leur farandole et déguisant leur voix, les "dominos" invitent femmes et jeunes filles pour danser, les cris et les rires fusent ! D'autres groupes arrivent, on se congratule bruyamment, on chahute, on se poursuit. Tout est drolleries, farces extravagantes, espiégleries diverses !

bicyclette garnie
Une bicyclette garnie...

             De place en place, on envahit un estaminet (et ils sont très nombreux), la bière surtout coule à flots, en grandes chopes moussantes. Pour boire on se disimulle, afin de soulever son masque, ou on utilise un tube de verre coudé, glâné chez les verriers sarséens ou fourmisiens. Plus loin, on s'invite pour agacer quelques familles connues, accueillantes d'ailleurs, même enthousiastes. On déguste des gauffres, on boit du café et partout on entend :

             "-Ah ! tu n'm'as nin co r'connu ??? Mi, j'connais bin t'feille" ! ou bien

             "-Vot'gamin, fume-t-il toudis du toubac ed fraude éyé met-il cor des lacerons pou les lapins" ?

             Bien d'autres thèmes étaient imaginés et réalisés : cortéges politiques, danses macabres où tous les participants étaient simplement déguisés avec un drap de lit et portaient un masque "tête de mort", partie de crosse cocasse dont nous reparlerons à propos de ce jeu hivernal. Bref ! du rire, de la joie intense, du défoulement, de la détente saine et spontanée.


musiciens costumés
Musiciens costumés pour le Carnaval


"Bals masqués et concours"

             Le lundi et le mardi, la fête continuait, surtout l'après-midi avec principalement la participation des plus jeunes. Durant ces trois jours, l'explosion de joie populaire se manifestait par l'organisation de bals parés et masqués délirants. Pour attirer la population, ces sauteries très prisées étaient agrémentées de concours. Le dimanche soir, un jury attribuait des prix aux couples les plus gracieux. Le lundi était consacré à la désignation du plus original. Le mardi, on choisissait les plus beaux et les plus laids. Pour obtenir son gain, il fallait se démasquer à la pause. Les spectateurs, très nombreux, essayaient de reconnaitre les participants auparavant. La surprise était parfois grande étant donné que certains amis sortaient discrètement et échangeaient leurs vêtements. Des commentaires amusants éclataient :

             "-J'te dis, qué c'ti là, c'est nin eun'feume, puisque j'ai sinti ses bertelles in dansant" ! (ce n'est pas une femme puisque j'ai senti ses bretelles) ou bien

             "-C'ti là, habillé in feume, c'est un homme, ravisse comme y clinche ses pieds avec ses solers à hauts talons" ! (regarde comme il tord ses pieds).

             Certains donnaient libre cours à une licence parfois débordante et jusqu'à l'aube, c'etait une succession d'éclats de joie collectifs !

jeunes filles déguisées
Jeunes filles déguisées pour le Carnaval de 1925 à Sains du Nord

             Les repas du soir de ces jours de liesse étaient le plus souvent composés de gaufres ou de crépes, mais parfois de tripes ou de tête de veau.... tout cela dégusté en famille ou entre amis.

             Le mercredi des Cendres, tout rentrait dans l'ordre. On commentait longuement les détails cocasses. Les langues allaient bon train. On riait en racontant les aventures pittoresques des uns et des autres. Croyez-moi, on ne faisait pas "une figure de carême" !

             Plus tard, le jeudi de la Mi-Carême, on se masquait de nouveau et la féérie renaissait pour un soir ! De nos jours, le Mardi-Gras passe, dans la foulée de nos trop rapides occupations : "Vite,   vite... toujours plus vite ! Prendrait-on encore le temps de préparer, trois semaines à l'avance par groupes d'amis quelques heures de défoulement joyeux ? On essaie malgré tout de ci, de là, de faire revivre ces traditions. Puissent-elles retrouver la liesse d'antan !


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